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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

(La route, blême dans la nuit, s’enfonce toute droite à travers la plaine informe.)

— Je vous laisserai continuer seul tout à l’heure, ajouta-t-il, comme avec regret. Êtes-vous d’ailleurs si pressé de regagner Campagne ?

— J’ai déjà trop tardé, répond le futur curé de Lumbres. Beaucoup trop.

— Je vous aurais demandé… il eût été possible… préférable même… d’attendre le jour chez moi, dans une petite bicoque que je connais bien — en lisière du bois de la Saugerie — une forte cabane de charbonniers avec un âtre, et tout ce qu’il faut pour faire du feu.

Mais l’invitation est formulée du bout des lèvres. Et l’hésitation de la voix jusqu’alors si claire et si franche surprend l’abbé Donissan.

— Il redoute bien que je n’accepte, pense-t-il avec tristesse. Qu’il a hâte de m’écarter de son chemin, lui aussi !

Cette humble évidence verse tout à coup dans son cœur un flot d’amertume. Sa déception est de nouveau si grande, son désespoir si soudain, si véhément qu’une telle disproportion de l’effet à la cause inquiète tout de même ce qui lui reste encore de bon sens ou de raison, à travers son délire grandissant.