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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

au presbytère de Campagne, avant le jour. Il a décidé simplement de refaire, à rebours, son long voyage. Si l’abbé Menou-Segrais se dressait tout à coup devant lui, nul doute qu’après l’avoir poliment salué il lui conterait l’affaire en peu de mots, comme on rend compte d’un contretemps seulement fâcheux.

Après un dernier fossé franchi, le voilà maintenant sur un chemin de terre, fort étroit, à peine tracé, au milieu des labours. Il se souvient de l’avoir suivi, peut-être, — une heure ou deux plus tôt. Mais alors il était seul, semble-t-il…

Car depuis un moment (pourquoi ne l’avouerait-il point ?) il n’est plus seul. Quelqu’un marche à ses côtés. C’est sans doute un petit homme, fort vif, tantôt à droite, tantôt à gauche, devant, derrière, mais dont il distingue mal la silhouette — et qui trotte d’abord sans souffler mot. Par une nuit si noire, ne pourrait-on s’entr’aider ? A-t-on besoin de se connaître pour aller de compagnie, à travers ce grand silence, cette grande nuit ?

— Une grande nuit, hein ? dit tout à coup le petit homme.

— Oui, monsieur, répond l’abbé Donissan. Nous sommes encore loin du jour.

C’est certainement un jovial garçon, car sa