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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

raissent tout à fait, à peine s’il devine la plaine invisible, tandis qu’un vent froid et glacé, sans aucun bruit, le frappe au visage… Il est sûr d’être déjà hors du chemin, sans qu’il puisse comprendre à quel instant il l’a quitté. Il court plus fort, d’ailleurs poussé en avant par la pente, le dos arrondi, sa soutane drôlement troussée sur ses jambes maigres — ridicule fantôme, si drôlement actif et gesticulant, à travers les choses immobiles. Tête basse, il s’écroule enfin sur une muraille molle et froide, que ses mains pressent ; il glisse doucement sur le côté, dans la boue, en fermant les yeux. Et, avant de les ouvrir, il sait déjà qu’il est revenu.


Il ne se révolte pas encore. Il se relève, avec un profond soupir et, d’un geste des épaules, comme pour assujettir son fardeau, se remet en marche, tournant décidément le dos. Il avance d’un pas régulier, docile, dans la terre qui colle à ses semelles, enjambe des haies basses, une clôture en fil de fer, évite d’autres obstacles, à tâtons, sans tourner la tête, de nouveau infatigable. Il ne délire pas du tout ; il ne se propose aucun but singulier ; il accepte comme une aventure ordinaire ce voyage si étrangement interrompu et ne songe bonnement qu’à rentrer le plus vite possible là-bas,