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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

extrême, le regard avide et douloureux, tandis que la secrète prière de ses lèvres surprend les vieux prêtres futiles dans leur innocent bavardage. Son étrangeté frappe d’abord. Nul, un seul excepté, n’a le pressentiment de ce magnifique destin. C’est assez s’il trouble et divise.

Et d’ailleurs que peut-on reconnaître dans cet homme singulier ? On l’observe en vain. On pourrait l’épier. Sur l’ordre de l’abbé Chapdelaine, il a renoncé sans débat aux mortifications dont le crédule vieux prêtre soupçonne à peine l’effrayante cruauté, encore que l’abbé Donissan ait répondu à toutes les questions avec sa franchise habituelle. Mais cette franchise même fait illusion. Pour le vicaire de Campagne, ce sont là des faits du passé, des épisodes. Il les avoue sans embarras. Il accorde volontiers que c’est peu pour dompter la nature qu’une étrivière bien tranchante. Le curé de Lumbres dira plus tard : « Notre pauvre chair consomme la souffrance, comme le plaisir, avec une même avidité sans mesure. » Nous avons pu lire, écrit de sa main, en marge d’un chapitre des Exercices de saint Ignace, cet ordre étrange : Si tu crois devoir te châtier, frappe fort, et peu de temps. Il disait aussi à ses sœurs du Carmel d’Aire : « Souvenons-nous que Satan sait tirer