semble descendre sous l’horizon. Il hâte le pas. Que ne peut-il atteindre, inaperçu, le coin sombre où, jusqu’au souper, puis dans la nuit, il restera seul — seul derrière la frêle muraille de bois, l’oreille penchée vers les bouches invisibles ! Mais il s’inquiète des visages inconnus qu’il lui faudra d’abord affronter. L’archiprêtre, seulement entrevu à la dernière Pentecôte, les deux missionnaires — d’autres peut-être ?… Depuis quelques mois le futur curé de Lumbres s’étonne de certains regards, de certaines paroles dont il n’entend pas encore le sens, d’une curiosité que sa naïveté a prise d’abord pour méfiance ou mépris, mais qui, peu à peu, crée autour de lui une atmosphère étrange, dont il a honte. En vain il s’efface, se fait plus humble, fuit toute amitié nouvelle, sa solitude même a l’air de tenter les plus indifférents, sa timidité un peu farouche les défie, sa tristesse les attire. Parfois c’est lui-même qui rompt le silence, lorsqu’un mot échappé par hasard a tout à coup sollicité sa grande âme. Et jusqu’à ce que la surprise muette de tous l’ait rappelé à lui-même et qu’il se taise de nouveau il parle, parle avec cette éloquence embarrassée, bégayante, d’une pensée qui semble traîner la parole après elle, comme un fardeau… Mais le plus souvent, il écoute, avec une attention
Page:Bernanos - Sous le soleil de Satan, tome 1, 1926.djvu/185
Cette page a été validée par deux contributeurs.
193
LA TENTATION DU DÉSESPOIR