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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

s’en tenir là pour aujourd’hui. Vous dans un sens, moi dans l’autre, nous sommes dupes d’une petite gueuse qui mentait avant de savoir parler. Attention !… Les gens qui vous conseillent sont peut-être assez malins pour vous éviter deux ou trois bêtises, dont la plus grosse serait de vouloir m’intimider. Qu’on pense de moi ce qu’on voudra, je m’en fiche ! En somme, les tribunaux ne sont pas faits pour les chiens, si le cœur vous en dit… Bien le bonjour !

— Qui vivra verra ! répondit noblement le brasseur.

Et, comme il méditait une autre réponse, il se retrouva dehors, seul et quinaud.

— Ce diable d’homme, dit-il plus tard, il donnerait de la drêche pour de l’orge, qu’on lui dirait encore merci…

Il repassait en marchant tous les détails de la scène, se composant à mesure, comme il est d’usage, un rôle avantageux. Mais, quoi qu’il fît, son bon sens devait convenir d’un fait accablant pour son amour-propre : cette entrevue de puissance à puissance, dont il espérait tant, n’avait rien conclu. Les dernières paroles de Cadignan, toutes pleines d’un sens mystérieux, ne cessaient pas non plus de l’inquiéter pour l’avenir… « Vous dans un sens, moi dans l’autre, nous avons été gentiment