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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

tombe la lumière inaltérable sur le bon et sur le méchant. Dans l’excès de sa fatigue, ses souvenirs le pressent, mais groupés au même point de la mémoire, ainsi que les rayons lumineux au foyer de la lentille. Ils ne font qu’une seule douleur. Tout l’a déçu ou trompé. Tout lui est piège et scandale. De la médiocrité où il se désespérait de languir, la parole de l’abbé Menou-Segrais l’a porté à une hauteur où la chute est inévitable. L’ancienne déréliction n’était-elle point préférable à la joie qui l’a déçu ! Ô joie plus haïe d’avoir été, un moment, tant aimée ! Ô délire de l’espérance ! Ô sourire, ô baiser de la trahison ! Dans le regard qu’il fixe toujours — sans un mot des lèvres, sans même un soupir — sur le Christ impassible, s’exprime en une fois la violence de cette âme forcenée. Telle la face entrevue du mauvais pauvre, à la haute fenêtre resplendissante, dans la salle du festin. Toute joie est mauvaise, dit ce regard. Toute joie vient de Satan. Puisque je ne serai jamais digne de cette préférence dont se leurre mon unique ami, ne me trompe pas plus longtemps, ne m’appelle plus ! Rends-moi à mon néant. Fais de moi la matière inerte de ton œuvre. Je ne veux pas de la gloire ! Je ne veux pas de la joie ! Je ne veux même plus de l’espérance ! Qu’ai-je à donner ? Que me