Page:Bernanos - Sous le soleil de Satan, tome 1, 1926.djvu/177

Cette page a été validée par deux contributeurs.
185
LA TENTATION DU DÉSESPOIR

ments, d’un geste machinal, les yeux clos, remâchant les prières d’usage dans sa bouche amère. En nouant les cordons de la chasuble, il gémit, et jusqu’au pied de l’autel le même gémissement imperceptible ne cessa pas, roula dans sa gorge… Derrière lui, mille bruits divers rebondissent jusqu’aux voûtes, pour s’y confondre en un seul murmure — ce vide sonore auquel il devra faire face, à l’introït, les bras étendus… Il monte à tâtons les trois marches, s’arrête. Alors il regarde la Croix.


Ô vous, qui ne connûtes jamais du monde que des couleurs et des sons sans substance, cœurs sensibles, bouches lyriques où l’âpre vérité fondrait comme une praline — petits cœurs, petites bouches — ceci n’est point pour vous. Vos diableries sont à la mesure de vos nerfs fragiles, de vos précieuses cervelles, et le Satan de votre étrange rituaire n’est que votre propre image déformée, car le dévot de l’univers charnel est à soi-même Satan. Le monstre vous regarde en riant, mais il n’a pas mis sur vous sa serre. Il n’est pas dans vos livres radoteurs, et non plus dans vos blasphèmes ni vos ridicules malédictions. Il n’est pas dans vos regards avides, dans vos mains perfides, dans vos oreilles pleines de vent. C’est en vain que vous le cher-