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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

per sa pensée, puis ses yeux firent lentement le tour de la chambre, et il s’étonna de la large tache luisante sur le parquet de sapin, de la chaîne jetée en travers. Alors il sourit d’un sourire d’enfant. Ainsi la terrible besogne était achevée, voilà tout. Elle était faite. Son délire passé ne lui laissait aucune amertume : à mesure que les détails se représentaient à son esprit, il les écartait un par un, sans curiosité, sans colère. À présent, sa pensée flottait au delà, dans une lumière si douce ! Il la sentait plus calme, plus lucide, qu’à aucun autre moment de sa vie, mais inexprimablement détachée du passé. Ce n’était déjà plus l’accablement, la demi-torpeur du réveil. Les derniers voiles étaient effacés, il se retrouvait lui-même, s’observant d’une conscience claire et active, mais avec un désintéressement surhumain.

Le soleil était déjà haut. La diligence de Beaugrenant passait sur la route en grinçant. La voix familière de l’abbé Menou-Segrais s’élevait dans le petit jardin, à laquelle une autre voix répondait, plus aiguë, celle de la gouvernante Estelle… L’abbé Donissan prêta l’oreille et entendit son nom prononcé deux fois. D’un geste instinctif, il voulut se jeter au bas du lit. Mais à peine ses pieds touchaient terre