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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

contemplait d’un œil ébloui. Puis cette brume disparut tout à coup, et avec elle le paysage de neige et de boue, et la clarté même du jour. Mais il frappait et frappait encore dans ces nouvelles ténèbres, il eût frappé jusqu’à mourir. Sa pensée, comme engourdie par l’excès de la douleur physique, ne se fixait plus et il ne formulait aucun désir, sinon d’atteindre et de détruire, dans cette chair intolérable, le principe même de son mal. Chaque nouvelle violence en appelait une autre plus forte, impuissante encore à le rassasier. Car il en était à ce paroxysme où l’amour trompé n’est plus fort que pour détruire. Peut-être croyait-il étreindre et détester cette part de lui-même, trop pesante, le fardeau de sa misère, impossible à tirer jusqu’en haut ; peut-être croyait-il châtier ce corps de mort dont l’apôtre souhaitait aussi d’être délivré, mais la tentation était dès lors plus avant dans son cœur, et il se haïssait tout entier. Ainsi que l’homme qui ne peut survivre à son rêve, il se haïssait… Mais il n’avait dans la main qu’une arme inoffensive, dont il se déchirait en vain.


Cependant il frappait sans relâche, trempé de sueur et de sang, les yeux clos, et seule le tenait debout, sans doute, sa mystérieuse colère. Un