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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

lorsque déjà les deux mâchoires l’étreignent, et chaque effort les va resserrer sur lui. Dans la nuit qui retombe, la frêle clarté le défie… Il provoque, il appelle presque la plénière angoisse, miraculeusement dissipée. Toute certitude, même du pire, n’est-elle pas meilleure que la halte anxieuse, au croisement des routes, dans la nuit perfide ? Cette joie sans cause ne peut être qu’une illusion. Une espérance si secrète, au plus intime, au plus profond, née tout à coup — qui n’a pas d’objet — indéfinie, ressemble trop à la présomption de l’orgueil… Non ! Le mouvement de la grâce n’a pas cet attrait sensuel… Il lui faut déraciner cette joie !

Sitôt sa résolution prise, il n’hésite plus. L’idée du sacrifice à consommer ici même — dans un instant — pointe en lui cette autre flamme du désespoir intrépide, force et faiblesse de cet homme unique, et son arme que tant de fois Satan lui retournera dans le cœur. Son visage, maintenant glacé, reflète dans le regard sombre la détermination d’une violence calculée. Il s’approche de la fenêtre, l’ouvre. À la barre d’appui, jadis brisée, la fantaisie d’un prédécesseur de l’abbé Menou-Segrais a substitué une chaîne de bronze, trouvée au fond de quelque armoire de sacristie. De ses fortes