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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

la miséricorde — s’il eût appelé au secours ? Fût-il devenu l’un de ces saints dont l’histoire ressemble à un conte, de ces doux qui possèdent la terre, avec un sourire d’enfant roi ?… Mais à quoi bon rêver ? Au moment décisif, il accepte le combat, non par orgueil, mais d’un irrésistible élan. À l’approche de l’adversaire, il s’emporte non de crainte, mais de haine. Il est né pour la guerre ; chaque détour de sa route sera marqué d’un flot de sang.

Cependant la joie mystérieuse, comme à la pointe de l’esprit, veille encore, à peine troublée, petite flamme claire dans le vent… Et c’est contre elle, ô folie ! qu’il va se tourner à présent. L’âme aride, qui ne connut jamais d’autre douceur qu’une tristesse muette et résignée, s’étonne, puis s’effraie, enfin s’irrite contre cette inexplicable suavité. À la première étape de l’ascension mystique, le cœur manque au misérable pris de vertige, et de toutes ses forces il essaiera de rompre ce recueillement passif, le silence intérieur dont l’apparente oisiveté le déconcerte… Comme l’autre, qui s’est glissé entre Dieu et lui, se dérobe avec art ! Comme il avance et recule, avance encore, prudent, sagace, attentif… Comme il met ses pas dans les pas !

Le pauvre prêtre croit flairer le piège tendu,