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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

En vain il baisse aussitôt les yeux : il est trop tard. Il s’est surpris lui-même dans ce geste instinctif, il essaie d’en pénétrer le sens. Que cherchait-il ? Ce signe matériel d’une inquiétude jusqu’alors vague, indécise, l’effraie presque autant qu’une présence réelle, visible. De cette présence, il a maintenant plus que le sentiment, une sensation nette, indicible. Il n’est plus seul… Mais avec qui ?

Le doute, à peine formulé dans son esprit, s’en rend maître. D’un premier mouvement, il a voulu se jeter à genoux, prier. Pour la seconde fois, la prière s’arrête sur ses lèvres. Le cri de l’humble détresse ne sera pas poussé : le suprême avertissement aura été donné en vain. La volonté déjà cabrée échappe à la main qui la sollicite : une autre s’en empare, dont il ne faut attendre pitié ni merci.

Ah ! que l’autre est fort et adroit, qu’il est patient quand il faut et, lorsque son heure est venue, prompt comme la foudre ! Le saint de Lumbres, un jour, connaîtra la face de son ennemi. Il faut cette fois qu’il subisse en aveugle sa première entreprise, reçoive son premier choc. La vie de cet homme étrange, qui ne fut qu’une lutte forcenée, terminée par une mort amère, qu’eût-elle été si, de ce coup, la ruse déjouée, il se fût abandonné sans effort à