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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

due, laissait derrière elle, au lieu d’une certitude dont il sentait bien que la volupté eût brisé son cœur, un pressentiment ineffable. La main qui l’avait porté s’écartait à peine, se tenait prête, à sa portée, ne le laisserait plus… Et le sentiment de cette mystérieuse présence fut si vif qu’il tourna brusquement la tête, comme pour rencontrer le regard d’un ami.

Pourtant, au sein même de la joie, quelque chose subsiste encore, que l’extase n’absorbe pas. Cela le gêne, l’irrite, pareil à un dernier lien qu’il n’ose rompre… Ce lien brisé, où le flot l’entraînerait-il ?… Parfois ce lien se relâche, et, comme un navire qui chasse sur ses ancres, son être est ébranlé jusqu’au fond… Est-ce un lien seulement, un obstacle à vaincre ?… Non : cela qui résiste n’est pas une force aveugle. Cela sent, observe, calcule. Cela lutte pour s’imposer… Cela, n’est-ce pas lui-même ? N’est-ce pas la conscience engourdie qui lentement s’éveille ?… La dilatation de la joie a été, selon l’extraordinaire parole de l’apôtre, jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit. Il n’est pas possible d’aller plus loin sans mourir.


Non ! En détournant la tête, l’abbé Donissan ne rencontre aucun regard ami — mais seulement, dans la glace, son visage pâle et contracté.