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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

La semence étouffée ne lèvera plus. Elle a été jetée pourtant. Mille souvenirs lui reviennent de son enfance si étrangement unie à Dieu et ces rêves, ces rêves-là même — ô rage ! — dont il a craint la dangereuse suavité et que dans son âpre zèle il a peu à peu recouverts… C’était donc la voix inoubliable qui n’est que peu de jours entendue, avant que le silence ne se refermât jamais. Il a fui sans le savoir la divine main tendue — la vision même du visage plein de reproche — puis le dernier cri au-dessus des collines, le suprême appel lointain, aussi faible qu’un soupir. Chaque pas l’enfonce plus avant dans la terre d’exil : mais il est toujours marqué du signe que le serviteur de Dieu reconnaissait tout à l’heure sur son front.

J’aurais pu… j’aurais dû… mots effroyables ! Et s’il les surmontait une minute, il serait maître de nouveau ; ainsi le héros vaincu dicte à ses familiers son Mémorial, refait éternellement ses calculs et ressuscite le passé, pour étouffer l’avenir qui remue encore dans son cœur. Les plus forts ne s’abandonnent jamais à demi. Un ferme bon sens, sitôt certaines bornes franchies, va jusqu’au bout de son délire. Cet homme qui regardera quarante ans le pécheur avec le regard de Jésus-Christ, dont les plus rebelles ne lasseront pas l’espérance, et