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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

tion, la recherche anxieuse, les alternatives de confiance et de désespoir, une inquiétude qui ne trompe pas… Et pourtant… « Ai-je point troublé ce cœur pour toujours, se disait-il en cherchant parfois le regard qui l’évitait, ou le feu qui le consume est-il pur ? Sa conduite est parfaite, irréprochable ; son zèle ardent, efficace, et déjà son ministère porte du fruit… Que lui reprocher ? Combien d’autres seraient heureux de vieillir assistés d’un tel homme ! Son extérieur est d’un saint, et quelque chose en lui, pourtant, repousse, met sur la défensive… Il lui manque la joie… »

Or, l’abbé Donissan connaissait la joie.

Non pas celle-là, furtive, instable, tantôt prodiguée, tantôt refusée — mais une autre joie plus sûre, profonde, égale, incessante, et pour ainsi dire inexorable — pareille à une autre vie dans la vie, à la dilatation d’une nouvelle vie. Si loin qu’il remontât dans le passé, il n’y trouvait rien qui lui ressemblât, il ne se souvenait même pas de l’avoir jamais pressentie, ni désirée. À présent même il en jouissait avec une avidité craintive, comme d’un périlleux trésor que le maître inconnu va reprendre, d’une