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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

monte avec vous. La dure vérité, qui tout à coup d’un mot longtemps cherché court vous atteindre en pleine poitrine, l’a blessé avant vous. On sent bien qu’il l’a comme arrachée de son cœur. Hé non ! il n’y a rien ici pour les professeurs, aucune rareté. Ce sont des histoires toutes simples ; celui-là, il faut qu’on l’écoute, voilà tout… La bouilloire tremble et chante sur le poêle, le chien avachi dort, le nez entre ses pattes, le grand vent du dehors fait crier la porte dans ses gonds et la noire corneille appelle à tue-tête dans le désert aérien… Ils l’observent de biais, répondent avec embarras, s’excusent, plaident l’ignorance ou l’habitude et, quand il se tait, se taisent aussi.

— Mais que leur contez-vous donc, à nos bonnes gens ? demande l’abbé Menou-Segrais. Les voilà tout retournés. Quand je parle de vous, pas un qui ose me regarder en face.

Car il évite de poser à l’abbé Donissan de ces questions directes qui exigent un oui ou un non… Pourquoi ?… Par prudence, sans doute, mais aussi par une crainte secrète… Quelle crainte ? Le travail de la grâce dans ce cœur déjà troublé a un caractère de violence, d’âpreté qui le déconcerte. Depuis cette nuit de Noël où il a parlé avec tant d’audace, le curé de Campagne n’a jamais voulu reprendre un