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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

phrase méditée à loisir, puis partait sans avoir rien dit. À présent, il a trop à faire de lutter contre soi-même, de se surmonter. En se surmontant, il fait mieux que persuader ou séduire ; il conquiert ; il entre dans les âmes comme par la brèche. Ainsi que jadis il traverse la cour du même pas rapide, parmi les flaques de purin et le vol effarouché des poules. Comme autrefois le même marmot barbouillé, un doigt dans la bouche, l’observe du coin de l’œil tandis qu’il frotte à grand bruit ses souliers crottés. Mais déjà, quand il paraît sur le seuil, chacun se lève en silence. Nul ne sait le fond de ce cœur à la fois avide et craintif, que le plus petit obstacle va toucher jusqu’au désespoir, mais que rien ne saurait rassasier. C’est toujours ce prêtre honteux qu’un sourire déconcerte aux larmes et qui arrache à grand labeur chaque mot de sa gorge aride. Mais, de cette lutte intérieure, rien ne paraîtra plus au dehors, jamais. Le visage est impassible, la haute taille ne se courbe plus, ses longues mains ont à peine un tressaillement. D’un regard, de ce regard profond, anxieux, qui ne cède pas, il a traversé les menues politesses, les mots vagues. Déjà il interroge, il appelle. Les mots les plus communs les plus déformés par l’usage reprennent peu à peu leur sens, éveillent un étrange écho.