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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

effets. Trop adroit pour user son autorité en paroles vaines et en inutiles conseils de modération que l’abbé Donissan n’était plus sans doute en état d’écouter, il attendait une occasion d’intervenir et ne la trouvait pas. Comme il arrive trop souvent, lorsqu’un homme habile n’est plus maître des passions qu’il a suscitées, il craignait d’agir à contresens et d’aggraver le mal auquel il eût voulu porter remède. D’un autre que son étrange disciple, il eût attendu plus tranquillement la réaction naturelle d’un organisme surmené par un travail excessif, mais ce travail même n’était-il pas, à cette heure, un remède plutôt qu’un mal et comme la distraction farouche d’un misérable prisonnier d’une seule et constante pensée ?

D’ailleurs l’abbé Donissan n’avait rien changé, en apparence, aux occupations de chaque jour et menait de front plus d’une entreprise. Tous les matins, on le vit gravir de son pas rapide et un peu gauche le sentier abrupt qui, du presbytère, mène à l’église de Campagne. Sa messe dite, après une prière d’actions de grâces dont l’extrême brièveté surprit longtemps l’abbé Menou-Segrais, infatigable, son long corps penché en avant, les mains croisées derrière le dos, il gagnait la route de Brennes et parcourait en tous sens l’immense plaine qui,