Page:Bernanos - Sous le soleil de Satan, tome 1, 1926.djvu/140

Cette page a été validée par deux contributeurs.
148
SOUS LE SOLEIL DE SATAN

comme par mégarde, parlant toujours, glissait un oreiller sous la tête douloureuse. Puis, s’asseyant sur une chaise basse, et ramenant frileusement autour de lui sa couverture de laine, il se recueillait une minute, le regard fixé sur le foyer, dont on voyait danser la flamme dans ses yeux clairs et hardis.

— Mon enfant, dit-il enfin, l’opinion que vous avez de moi est assez juste dans l’ensemble, mais fausse en un seul point : Je me juge, hélas ! avec plus de sévérité que vous ne pensez. J’arrive au port les mains vides…

Il tisonnait les bûches flamboyantes avec calme.

— Vous êtes un homme bien différent de moi, reprit-il, vous m’avez retourné comme un gant. En vous demandant à Monseigneur, j’avais fait ce rêve un peu niais d’introduire chez moi… hé bien ! oui… un jeune prêtre mal noté, dépourvu de ces qualités naturelles pour lesquelles j’ai tant de faiblesse, et que j’aurais formé de mon mieux au ministère paroissial… À la fin de ma vie, c’était une lourde charge que j’assumais là. Seigneur ! Mais j’étais aussi trop heureux dans ma solitude pour y achever de mourir en paix. Le jugement de Dieu, mon petit, doit nous surprendre en plein travail… Le jugement de Dieu !…