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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

rées même. Je comprends votre impatience à vaincre la nature d’un coup décisif. Mais la parole que vous attendez de moi peut être une tentation au-dessus de vos forces. Vous voulez connaître l’arrêt, soit. L’exécuterez-vous ?

— Je le crois, répondit l’abbé d’une voix sourde. Et, d’ailleurs, serai-je jamais mieux préparé que cette nuit à recevoir et porter une croix ? Il est temps. Croyez-moi, mon Père, il est temps. Je ne suis pas seulement un prêtre ignorant, grossier, impuissant à se faire aimer. Au petit séminaire, je n’étais qu’un élève médiocre. Au grand séminaire, allez, j’ai fini par lasser tout le monde. Il a fallu un miracle de charité du P. Delange pour convaincre les directeurs de m’admettre au diaconat… Intelligence, mémoire, assiduité même, tout me manque… Et cependant…

Il hésita, mais sur un signe de l’abbé Menou-Segrais :

— Et cependant, continua-t-il avec effort, je n’ai pu vaincre encore tout à fait une obstination… un entêtement… Le juste mépris d’autrui réveille en moi… des sentiments si âpres… si violents… Je ne puis vraiment les combattre par des moyens ordinaires…

Il s’arrêta, comme effrayé d’en avoir trop dit. Les petits yeux du doyen fixaient son regard,