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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

Et il regardait avec une curiosité pleine d’effroi ce vieux prêtre, à l’ordinaire si courtois, tout à coup roidi, imperturbable, le regard si dur.

— L’affaire est grave. Vos supérieurs vous ont laissé recevoir les Saints Ordres ; je pense que leur décision n’a pas été prise légèrement. D’autre part, cette incapacité dont vous faisiez l’aveu tout à l’heure…

— Permettez-moi, interrompit de nouveau le malheureux prêtre, de la même voix sans timbre… Mon Dieu !… je ne suis pas absolument incapable d’aucun travail apostolique, proportionné à mon intelligence et à mes moyens. Ma santé physique heureusement…

Il se tut, honteux d’opposer à tant d’éloquentes raisons un argument si misérable, dans sa naïveté sublime.

— La santé est un don de Dieu, répliqua gravement l’abbé Menou-Segrais. Hélas ! j’en sais le prix mieux que vous. La force qui vous a été départie, votre adresse même à certains travaux manuels, c’était là sans doute le signe d’une vocation moins haute, où la Providence vous appelait… Est-il jamais trop tard pour reconnaître, guidé par de sûrs avis, une erreur involontaire ?… Devez-vous tenter une nouvelle expérience… ou bien… ou bien…

— Ou bien ?… osa demander l’abbé Donissan.