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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

— Ne plaisantons pas, reprit le marquis. Je ne vous ferai pas d’impolitesse avant d’avoir entendu vos raisons. Nous nous connaissons, Malorthy. Vous savez que je ne crache pas sur les filles ; j’ai eu mes petites aventures, comme tout le monde. Mais, foi d’honnête homme ! il ne se fait pas un enfant dans le pays sans que vos sacrées commères ne me cherchent des si et des mais, des il paraît et des peut-être… Nous ne sommes plus au temps des seigneurs : le bien que je prends, on me l’a librement laissé prendre. La République est pour tous, mille noms d’un chien !

« La République ! » pensait le brasseur stupéfait. Il prenait cette profession de foi pour une bravade, bien que le marquis parlât sans fard, et qu’en vrai paysan il se sentît porté vers un gouvernement qui préside aux concours agricoles et prime les animaux gras. Les idées du châtelain de Campagne sur la politique et l’histoire étant d’ailleurs, à peu de chose près, celles du dernier de ses métayers.

— Alors ?… fit Malorthy, attendant toujours un oui ou un non.

— Alors, je vous pardonne de vous être laissé, comme on dit, monter le coup. Vous, votre satané député, enfin tous les mauvais gars du pays m’ont fait une réputation de