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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

et désavoué par l’évêque. Ce jeu l’amusait, et il en goûtait mieux que personne l’agréable balancement.

Héritier d’une grande fortune, qu’il administrait avec sagesse, la destinant tout entière à ses nièces Segrais, vivant de peu, non pas sans noblesse, grand seigneur exilé qui rapporte, au fond de la province, quelque chose des façons et des mœurs de la Cour, curieux de la vie d’autrui, et pourtant le moins médisant, habile à faire parler chacun, tâtant les secrets d’un regard, d’un mot en l’air, d’un sourire — puis le premier à demander le silence, à l’imposer, — toujours admirable de tact et de spirituelle dignité, convive exquis, gourmand par politesse, bavard à l’occasion par condescendance et charité, si parfaitement poli que les simples curés de son doyenné, pris au piège, le tinrent toujours pour le plus indulgent des hommes, d’un rapport agréable et sûr, d’une perspicacité sans tranchant, tolérant par goût, même sceptique, et peut-être un peu suspect.

— Mon ami, répondit doucement l’abbé Demange, je vous vois venir ; vous tournez contre votre vicaire un coup qui m’était destiné. Secrètement, vous m’accusez d’incompréhension, de parti pris, que sais-je ? Arrière-pensée bien charitable un jour de Noël, et contre un