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HISTOIRE DE MOUCHETTE

— J’ai été trop loin, bégaya-t-il. C’est bon, Mouchette, c’est bon, n’en parlons plus.

Elle consentit à baisser le ton :

— Je t’ai fait peur, dit-elle.

— Un peu, fit-il. Tu es en ce moment si nerveuse, si impulsive… Laissons cela. J’ai mon opinion faite, à présent.

Elle tressaillit.

— En tout cas, tu n’as rien à craindre. Je n’ai rien vu, rien entendu. D’ailleurs, ajouta-t-il imprudemment, moi, ni personne…

— Cela signifie ?

— Que vraie ou fausse, ton histoire ressemble à un rêve…

— C’est-à-dire ?

— Qui t’a vue sortir ? Qui t’a vue rentrer ? Quelle preuve a-t-on ? Pas un témoin, pas une pièce à conviction, pas un mot écrit, pas même une tache de sang… Suppose que je m’accuse moi-même. Nous serions manche à manche, ma petite. Pas de preuves !

Alors… Alors il vit Mouchette se dresser devant lui, non pas livide, mais au contraire le front, les joues et le cou même d’un incarnat si vif que, sous la peau mince des tempes, les veines se dessinèrent, toutes bleues. Les petits poings fermés le menaçaient encore, quand le regard de la misérable enfant n’exprimait déjà