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HISTOIRE DE MOUCHETTE

quête était close ; le non-lieu rendu… Seulement : savait-il tout ? Mouchette gardait-elle quelque preuve ? Qu’elle se livrât, il était capable de détourner le coup : l’entêtement ordinaire aux juges, la bizarrerie du crime, l’oubli qui déjà recouvrait la mémoire d’un homme, jadis craint ou détesté, l’autorité de la famille Malorthy — par-dessus tout le témoignage du médecin parlementaire — c’en était assez pour emporter les scrupules défaillants d’un magistrat. L’exaltation de Mouchette, et les probables divagations de sa colère rendaient vraisemblable l’hypothèse d’une crise de démence dont Gallet ne doutait point d’ailleurs qu’elle éclatât bientôt pour de bon… Mais encore, lucide ou folle, que dirait la perfide avant que se fût refermée sur elle la porte capitonnée du cabanon ? Si rapidement que se succédassent ces hypothèses contradictoires dans la pensée du malheureux, il retrouva sa finesse paysanne pour dire sans ironie :

— Je ne voulais pas te mettre en colère… Je ne juge pas ton acte, s’il a été toutefois commis. Le métier de séduction d’enfant de quinze ans a ses risques… Mais je t’interrogerai, puisque tu m’en pries. Tu parles à un ami… à un confesseur. (Il baissait la voix malgré lui, avec l’accent de l’angoisse.)