Page:Bernanos - Les Grands Cimetières sous la lune.pdf/92

Cette page a été validée par deux contributeurs.
70
LES GRANDS CIMETIÈRES

contentant de crier, la main sur le cœur : « Mes intentions ! mes intentions ! » Qu’importe que vos intentions soient bonnes ? Il s’agit de savoir qui les exploite. Et, où sont donc vos intentions, entre nous, hommes d’ordre ? Voilà qu’elles galopent sur toutes les routes de la terre. Vos bonnes intentions ont pris le mors aux dents. Vos bonnes intentions sont devenues folles. Allez, allez, vous aurez beau les siffler, elles ne reviendront pas… Le nationalisme, par exemple, élevé dans la vieille et indulgente maison lorraine de M. Maurice Barrès, nourri d’encre précieuse, quel chemin il a fait depuis, jusqu’au Japon, jusqu’en Chine ! C’est que les puissants maîtres de l’or et de l’opinion universelle l’ont vite arraché aux mains des philosophes et des poètes. Ma Lorraine ! ma Provence ! ma Terre ! mes Morts ! Ils disaient : mes phosphates, mes pétroles, mon fer. Lorsque j’avais quinze ans, nous luttions contre l’Individualisme. Sacrée déveine ! Il était mort. Chaque nation d’Europe avait déjà au fond des entrailles un petit état totalitaire bien formé. Quiconque eût posé l’oreille à la hauteur de l’ombilic aurait sûrement entendu sauter son cœur… Et le Libéralisme, Seigneur ! De quelles verges nous avons caressé son dos ! Hélas ! il ne se souciait plus de nos coups. Veillé par quelques académiciens en uniforme, il attendait dans le coma, l’heure du trépas, qui allait être annoncé par le premier coup de canon de la guerre. Bref, nos intentions étaient pures, trop pures, trop inno-