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tuaires, fabriquées probablement dans les prisons. Vous aurez beau me dire que le pourrissoir des guerres a toujours fait éclore de telles larves. C’est que vous ne les avez pas connus. Il ne vous est jamais arrivé de boire avec eux, la devanture close, entre leur épouse tourmentée par les varices et leur demoiselle au relent puissant, le petit marc de l’amitié. C’étaient des gens malheureusement dépourvus d’imagination et par conséquent peu accessibles à la compassion, mais ils n’avaient rien des détrousseurs de cadavres qui suivaient jadis les Armées. Dieu ! ils n’auraient pas risqué la fusillade, ou même six mois de prison. Ils étaient affamés d’estime publique, impitoyables pour la canaille, sévère aux jeunes gens qui gâchaient leurs sous, aux femmes qui « ne se respectaient pas », aux débiteurs infidèles. Ne me demandez pas ce qu’ils sont devenus. Il serait tout de même assez vain de prétendre que ces gens-là sont morts le jour de l’armistice, non ! L’inflation les dégorge, la déflation les ravale, soit. Vous ne les reconnaissez pas, parce qu’ils ne se distinguent plus du troupeau. Ils n’étaient nullement des monstres. Les circonstances seules étaient monstrueuses, et ils les subissaient ou plutôt, ils y adaptaient le petit nombre d’idées générales dont ils pouvaient disposer. Ils y conformaient leur âme. La preuve qu’ils n’avaient rien des aventuriers ni des réfractaires, c’est qu’aussitôt pourvus, ils s’établissaient, mariaient leurs filles à des notaires. Après quoi, ils pensaient au