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touchant le respect de la propriété d’autrui, faisaient du négoce, un art. Aujourd’hui n’importe quel va-nu-pieds peut se vanter d’appartenir à la corporation pourvu que, locataire d’une boutique, il s’inscrive comme dixième ou vingtième intermédiaire entre l’industriel qui se ruine pour produire à bas prix et le chaland imbécile dont le destin est de se faire voler. On a bien tort de juger sur la mine tel antre sordide, à la devanture vermoulue, à la glace fendue qui, chaque fois que s’entr’ouvre la porte, jette sur le trottoir avec le tintement du grelot fêlé, une odeur absurde d’oignons et d’urine de chat. L’observation de certaines toiles d’araignée, paradoxalement tissées dans des endroits en apparence inaccessibles même aux moucherons, démontre que la patience du guetteur a raison de tout. Il est certain que les trop brillants étalages éloignent les pauvres diables, entretenus dans l’illusion — si attendrissante après tout ! — que le petit commerçant pratique le petit bénéfice. La preuve que ces hideuses trappes nourrissent l’insecte qui s’y tapit, c’est, depuis la guerre, l’étonnante multiplication des boutiquiers, phénomène dont vous pourrez aisément vous convaincre par la lecture du Bottin. Oh ! sans doute, la faillite guette le guetteur, et il ne mange pas chaque jour à sa faim. Mais il tiendra jusqu’au bout, dût-il faute de crédit, s’approvisionner dans les boîtes à ordures. Je n’exagère nullement. Imaginez par exemple que cesse demain tout contrôle officiel des