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ils leurs alliés plus solides, plus résistants. Grave erreur ! Car un citoyen a beau s’habiller de tweed chez le bon tailleur, s’honorer d’un poste administratif, avoir même hérité d’un père épargnant une maison de rapport dans le quartier des Ternes, une promotion trop récente à cette classe si mal définie qu’on appelle Bourgeoisie (qu’a-t-elle en effet de commun avec la bourgeoisie fortement en racinée de l’ancienne France ?) autorise à lui attribuer les tares et la fragilité de l’Âge Ingrat — l’âge ingrat menacé par les maladies de l’enfance et de l’âge mûr. Et le mot ingrat est bien ici celui qu’il faut : à qui ces gens-là témoigneraient-ils de la gratitude ? Ils se sont faits eux-mêmes, disent-ils. On les étonnerait beaucoup en leur représentant qu’ils ont des devoirs envers la classe dont ils sont sortis, où triment encore les leurs. Ne laissent-ils pas à ces maladroits l’exemple et l’encouragement de leur chance ? — « Qu’ils nous imitent ! qu’ils se débrouillent ! » À peine sortis des immenses chantiers de la misère, comment voulez-vous qu’ils ne soient pas secrètement tourmentés par la crainte de s’y voir retomber ? L’homme de grande race ne croit risquer à une révolution, que sa tête. Le petit bourgeois s’y perdrait tout entier, il dépend tout entier de l’ordre établi, l’Ordre Établi qu’il aime comme lui-même, car cet établissement est le sien. Vous ne pensez pas qu’il puisse voir sans haine, les grosses mains noires qui le tirent en arrière, par les pans de sa belle jaquette ? « Revenez à nous,