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masse anonyme qui s’appelle : un prolétariat.

En parlant ainsi je ne crois pas trahir la classe à laquelle j’appartiens, car je n’appartiens à aucune classe, je me moque des classes et d’ailleurs il n’y a plus de classes. À quoi reconnaît-on un Français de première classe ? À son compte en banque ? À son diplôme de bachelier ? À sa patente ? À la Légion d’honneur ? Oh ! je ne suis pas anarchiste ! Je trouve parfaitement convenable que l’État recrute ses fonctionnaires parmi les braves potaches du collège ou du lycée. Où les prendrait-il ? La situation de ces Messieurs ne me paraît d’ailleurs pas enviable. Croyez que, si j’en avais le moyen, je ne penserais pas faire une grande faveur à un maréchal de village qui chante au feu de sa forge, en le transformant par un coup de baguette magique, en percepteur. Néanmoins, j’admets volontiers que ces gens-là soient traités avec plus d’égards que le maréchal ou moi-même parce que la discipline facilite le travail, épargne le temps de celui qui commande et de celui qui obéit. Lorsque vous vous trouvez devant un guichet, au bureau de poste, j’espère que vous ne discutez jamais avec le préposé, vous attendez modestement qu’il se souvienne de vous, à moins que vous ne vous permettiez d’attirer son attention par une petite toux discrète. Si le préposé interprète cette attitude ainsi qu’un hommage rendu à son intelligence et à ses vertus, que voulez-vous, il a tort. Notre classe moyenne commet un peu la même erreur. Parce qu’elle fournit la plu-