Page:Bernanos - Les Grands Cimetières sous la lune.pdf/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’entre eux, il courra chez son directeur qui lui répondra paisiblement, au nom d’innombrables casuistes, que ce conseil ne s’adresse qu’aux parfaits, qu’il ne saurait par conséquent troubler les propriétaires. J’en tombe volontiers d’accord. Je me permettrai donc d’écrire avec une majuscule le mot « Argent ». Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent. La Puissance de l’Argent s’oppose à la Puissance de Dieu.

C’est, direz-vous, une de ces vues métaphysiques dont les réalistes n’ont nul souci : Pardon. Exprimez-vous donc autrement, dans votre langage, que m’importe ! L’Antiquité a connu les Riches. Beaucoup d’hommes y ont souffert d’une injuste répartition des biens, de l’égoïsme, de la rapacité, de l’orgueil des Riches bien qu’on ne pense pas assez peut-être à ces milliers de laboureurs, pâtres, bergers, pêcheurs ou chasseurs auxquels la médiocrité des moyens de communication permettait de vivre pauvres et libres dans leurs solitudes inaccessibles. Qu’on réfléchisse à ce fait immense : les écumeurs étaient alors fonctionnaires, ils devaient humblement prendre leur tour derrière le général conquérant, faire leur profit du butin laissé par les militaires — et Dieu sait ce qu’étaient les militaires de Rome, avant que les peuples nobles d’Occident aient fourni à cette tribu de boucs constructeurs et juristes de véritables chefs de guerre, des soldats. Bref, en ces temps lointains les hommes d’argent exploitaient le monde au hasard d’expéditions