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prestige de l’argent ? Oui, l’honneur de l’argent serait peu de chose si vous ne lui apportiez votre sournoise complicité.

« Mais n’en a-t-il pas toujours été de même au cours des siècles ? » Dites plutôt que si les hommes d’argent ont souvent disposé des profits du pouvoir, ce pouvoir n’a jamais paru légitime à personne, il n’y a jamais eu, il n’y aura jamais une légitimité de l’Argent. Dès qu’on l’interroge il se cache, il se terre, il disparaît sous la terre. Même aujourd’hui sa situation auprès de la société qu’il contrôle, ne diffère pas beaucoup de celle du valet de ferme qui couche avec sa maîtresse, veuve et mûre. Il encaisse les bénéfices mais il appelle en public son amante « not’ dame », et il lui parle casquette à la main. On fait des triomphes aux reines de beauté, aux stars de cinéma. Vous n’imaginez pas l’un des Rockefeller accueilli à la gare du Nord par les applaudissements des mêmes personnes ardentes qui se pressent autour de M. Tino Rossi. Il est indifférent à ces dernières de donner par leurs indiscrets transports l’impression qu’elles ont envie de ce petit Corse à la voix d’ambre. Mais elles rougiraient de montrer cet empressement à M. Ford, fût-il aussi beau que M. Robert Taylor. L’argent est maître, soit. Cependant, il n’a même pas de représentant attitré, comme une simple puissance de troisième ordre, il ne figure pas dans les cor-