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ses usages et cette expérience si originale de la vie dont vous ne pouvez rien faire, vous autres. Une expérience qui ressemble à celle de l’enfance, à la fois naïve et compliquée, une sagesse maladroite et aussi pure que l’art des vieux imagiers.

Encore un coup, il ne s’agit pas d’enrichir les pauvres, car l’or entier de vos mines ne saurait probablement y suffire. Vous ne réussiriez d’ailleurs qu’à multiplier les faux riches. Nulle force au monde n’arrêtera l’or dans son perpétuel écoulement, ne rassemblera en un seul lac d’or les millions de ruisseaux par où s’échappe, plus insaisissable que le mercure, votre métal enchanté. Il ne s’agit pas d’enrichir le pauvre, il s’agit de l’honorer, ou plutôt de lui rendre l’honneur. Le fort ni le faible ne peuvent évidemment vivre sans honneur, mais le faible a plus besoin d’honneur qu’un autre. Cette maxime n’a d’ailleurs rien d’étrange. Il est dangereux de laisser s’avilir les faibles, la pourriture des faibles est un poison pour les forts. Jusqu’où seraient tombées les femmes — vos femmes — si d’un commun accord, au cours des siècles, disposant des moyens de vous les asservir corps et âme, vous ne vous étiez prudemment décidés à les respecter ? Vous respectez la femme ou l’enfant et il ne viendrait à l’esprit d’aucun d’entre vous de considérer leur faiblesse ainsi qu’une infirmité un peu honteuse, à peine avouable. Si les mœurs l’ont ainsi emporté sur la violence, pourquoi ne verrait-on pas céder à son tour l’ignoble