Page:Bernanos - Les Grands Cimetières sous la lune.pdf/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

logique inflexible, et l’économiste se chargera de la misère, mais en attendant soulevons contre ces deux fléaux l’opinion publique à laquelle chacun sait que rien ne résiste sur la terre ou dans les cieux. Honorer le pauvre ? Et pourquoi pas les poux de la pauvreté ? Ces rêveries d’Orient étaient sans malice au temps de Jésus-Christ qui d’ailleurs n’a jamais été un homme d’action. Si Jésus-Christ vivait de nos jours, il devrait se faire une situation, comme tout le monde, et n’eût-il qu’à diriger une modeste usine, force lui serait bien de comprendre que la Société moderne, en exaltant la dignité de l’argent comme en notant d’infamie la pauvreté, remplit son rôle à l’égard du misérable.

L’homme est né d’abord orgueilleux et l’amour-propre toujours béant est plus affamé que le ventre. Un militaire ne se trouve-t-il pas assez payé de risques mortels par une médaille de laiton ? Chaque fois que vous portez atteinte au prestige de la richesse, vous rehaussez d’autant le pauvre à ses propres yeux. Sa pauvreté lui fait moins honte, il l’endure, et telle est sa folie qu’il finirait peut-être par l’aimer. Or la société a besoin pour sa machinerie de pauvres qui aient de l’amour-propre. L’humiliation lui en rabat un bien plus grand nombre que la faim et de meilleure espèce, de celle qui rue aux brancards, mais tire jusqu’au dernier souffle. Ils tirent comme leurs pareils meurent à la guerre, non tant par goût de mourir que pour ne pas rougir devant les copains, ou encore pour