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quoi diable employez-vous les vieux ouvriers ? demande-t-il. Aucun de ceux que j’ai vus ne paraît avoir dépassé la cinquantaine… » L’autre hésite un moment, vide son verre : « Prenez un cigare, dit-il, et tout en fumant, nous irons faire un tour au cimetière. »

Le maître verrier, lui aussi, devait parfois faire un tour au cimetière. Et à défaut d’y prier — car les bourgeois de ce temps-là étaient tous libres penseurs — il est très possible qu’il s’y tînt convenablement, ou même qu’il s’y recueillît. Pourquoi pas ? J’écris cela sans rire. Les gens qui ne me connaissent guère me tiennent assez souvent pour un énergumène, un pamphlétaire. Je répète une fois de plus qu’un polémiste est amusant jusqu’à la vingtième année, tolérable jusqu’à la trentième, assommant vers la cinquantaine, et obscène au delà. Les démangeaisons polémistes chez le vieillard me paraissent une des formes de l’érotisme. L’énergumène s’excite à froid, comme dit le peuple. Loin de m’exciter, je passe mon temps à essayer de comprendre, unique remède contre l’espèce de délire hystérique où finissent par tomber les malheureux qui ne peuvent faire un pas sans se prendre le pied dans une injustice soigneusement cachée sous l’herbe, ainsi qu’une chausse-trape. J’essaie de comprendre. Je crois que je m’efforce d’aimer. Il est vrai que je ne suis pas ce qu’on appelle un optimiste. L’optimisme m’est toujours apparu comme l’alibi sournois des égoïstes, soucieux