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de Machiavel commencerait par faire pendre ces radoteurs.

Ne touchez pas aux imbéciles ! Voilà ce que l’Ange eût pu écrire en lettres d’or au fronton du Monde moderne, si ce monde avait un ange. Pour déchaîner la colère des imbéciles, il suffit de les mettre en contradiction avec eux-mêmes et les démocraties impériales, à l’apogée de leur richesse et de leur puissance, ne pouvaient refuser de courir ce risque. Elles l’ont couru. Le mythe du Progrès était sans doute le seul en qui ces millions d’hommes pussent communier, le seul qui satisfît à la fois leur cupidité, leur moralisme sommaire et le vieil instinct de justice légué par les aïeux. Il est certain qu’un patron verrier, qui au temps de M. Guizot, et si l’on s’en rapporte à d’irrécusables statistiques, décimait systématiquement pour les besoins de son commerce, des arrondissements entiers, devait avoir comme chacun de nous, ses crises de dépression. On a beau se serrer le cou dans une cravate de satin, porter à la boutonnière une rosette large comme une soucoupe et dîner aux Tuileries, n’importe ! il y a des jours où on se sent de l’âme. Oh ! bien entendu, les arrière-petits-fils de ces gens-là sont aujourd’hui des garçons très bien, du modèle en cours, nets, sportifs, plus ou moins apparentés. Beaucoup d’entre eux se proclament royalistes et parlent des écus de l’aïeul avec le mouvement de menton vainqueur d’un descendant de Godefroy de Bouil-