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règle. Le jour de la Victoire… Eh bien ! le jour de la victoire, ils espèrent rentrer chez eux.

À la vérité, ils n’y rentrent point pour la raison fameuse que « l’Armistice n’est pas la Paix », et qu’il faut leur laisser le temps de s’en rendre compte. Le délai d’un an a paru convenable. Huit jours eussent suffi. Huit jours eussent suffi pour prouver aux soldats de la grande guerre qu’une victoire est une chose à regarder de loin, comme la fille du colonel ou la tombe de l’Empereur, aux Invalides ; qu’un vainqueur, s’il veut vivre pénard, n’a qu’à rendre ses galons de vainqueur. Ils sont donc retournés à l’usine, au bureau, toujours bien tranquilles. Quelques-uns ont même eu la chance de trouver dans leur pantalon d’avant-guerre une douzaine de tickets de leur gargote, de la gargote de jadis, à vingt sous le repas. Mais le nouveau gargotier n’en a pas voulu.

Vous me direz que ces gens-là étaient des saints. Non, je vous assure, ce n’étaient pas des saints. C’étaient des résignés. Il y a dans tout homme une énorme capacité de résignation, l’homme est naturellement résigné. C’est d’ailleurs pourquoi il dure. Car vous pensez bien qu’autrement l’animal logicien n’aurait pu supporter d’être le jouet des choses. Voilà des millénaires que le dernier d’entre eux se serait brisé la tête contre les murs de sa ca-