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inventé ni le fer, ni le feu, ni les gaz, mais ils utilisent parfaitement tout ce qui les dispense du seul effort dont ils sont réellement incapables, celui de penser par eux-mêmes. Ils aimeront mieux tuer que penser, voilà le malheur ! Et justement vous les fournissez de mécaniques ! La mécanique est faite pour eux. En attendant la machine à penser qu’ils attendent, qu’ils exigent, qui va venir, ils se contenteront très bien de la machine à tuer, elle leur va même comme un gant. Nous avons industrialisé la guerre pour la mettre leur portée. Elle est à leur portée, en effet.

Sinon je vous mets au défi de m’expliquer comment, par quel miracle, il est devenu si facile de faire avec n’importe quel boutiquier, clerc d’agent de change, avocat ou curé, un soldat ? Ici comme en Allemagne, en Angleterre comme au Japon. C’est très simple : vous tendez votre tablier, et il tombe un héros dedans. Je ne blasphèmerai pas les morts. Mais le monde a connu un temps où la vocation militaire était la plus honorée après celle du prêtre, qui ne lui cédait qu’à peine en dignité. C’est tout de même étrange que votre civilisation capitaliste, qui ne passe pas pour encourager l’esprit de sacrifice, dispose, en pleine primauté de l’économique, d’autant d’hommes de guerre que ses usines peuvent fournir d’uniformes…

Des hommes de guerre comme on n’en a sûrement jamais vus. Vous les prenez au