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de fille pauvre et noble qui ne trouvera jamais de mari.

Au seuil de ce livre, pourquoi le nom de Barrès ? Pourquoi à la première page du Soleil de Satan celui du gentil Toulet ? C’est qu’en cet instant, comme en cet autre soir de septembre « plein d’une lumière immobile » j’hésite à franchir le premier pas, le premier pas vers vous, ô visages voilés ! Car le premier pas franchi, je sais que je ne m’arrêterai plus, que j’irai, vaille que vaille, jusqu’au bout de ma tâche, à travers des jours et des jours, si pareils entre eux que je ne les compte pas, qu’ils sont comme retranchés de ma vie. Et ils le sont en effet.

Je ne suis pas un écrivain. La seule vue d’une feuille de papier blanc me harasse l’âme. L’espèce de recueillement physique qu’impose un tel travail m’est si odieux que je l’évite autant que je puis. J’écris dans les cafés au risque de passer pour un ivrogne et peut-être le serais-je en effet si les puissantes Républiques ne frappaient de droits, impitoyablement, les alcools consolateurs. À leur défaut, j’avale à longueur d’année ces cafés-crème douceâtres, avec une mouche dedans. J’écris sur les tables de cafés parce que je ne saurais me passer longtemps du visage et de la voix humaine dont je crois avoir essayé de parler noblement. Libre aux malins, dans leur langage, de prétendre que « j’observe ». Je n’observe rien du tout. L’observation ne mène pas à grand’chose. M. Bourget a observé les gens du monde toute sa vie, et il n’en est