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LES GRANDS CIMETIÈRES

ignore absolument la vie intime. À vingt ans d’intervalle la même femme joue Rosine, et c’est bien toujours la vraie Rosine. Mais l’adolescente est devenue femme.

Je crois que ce monde finira un jour. Je crois que notre espèce approchant de sa fin, garde au fond de sa conscience de quoi déconcerter les psychologues, les moralistes et autres bêtes à encre. Il semble bien que le pressentiment de la mort commande notre vie affective. Que sera celle-ci, lorsque le pressentiment de la mort aura fait place à celui de la catastrophe qui doit engloutir l’espèce tout entière ? Évidemment l’ancien vocabulaire pourra servir. N’appelons-nous pas du même mot d’amour, le désir qui rapproche les mains tremblantes de deux jeunes amants, et ce gouffre noir où Phèdre tombe, les bras en croix, avec un cri de louve ?

Au cours de ces deux dernières années, je ne me flatte pas d’avoir découvert des formes nouvelles de la haine ou de la peur. Je me flatte seulement de m’être précisément trouvé au point du monde le plus favorable à certaines observations précieuses, déjà confirmées par l’expérience. Si naïfs qu’ont toujours été les gens de droite, ou si puissant l’instinct qui les porte à choisir infailliblement les causes ou les hommes voués par avance à l’impopularité, peut-être m’accorderont-ils,