misère, ils en avaient honte, ils n’en parlaient à personne, ils craignaient d’avoir l’air de tendre la main. Quand je leur disais : « Pour supporter que la France tombe de la guerre dans le carnaval, il faut que nous soyons de rudes salauds ! », ils me regardaient de leur regard inflexible, de ce regard d’acier dont ils mesuraient la distance d’un trou d’obus à un autre trou d’obus, ou la trajectoire de la grenade, et ils me répondaient en rigolant : « T’en fais pas pour la France, mon gars ! » Ils aimaient la France, ils l’aimaient autant qu’aucune autre génération l’avait aimée, mais ils ne se sentaient aucun droit sur elle, et réellement ils n’en avaient aucun. Depuis cent cinquante ans, le mot de Patrie n’appartenait plus qu’au vocabulaire sentimental, les théoriciens du Droit Public lui avaient substitué celui de Nation, et ce mot lui-même ne se distinguait guère plus de celui d’État — ce que l’État prétendait obtenir du citoyen, il l’exigeait au nom de la
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