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L’IMPOSTURE

sa déception plus aiguë encore, bien que moins pressante ? Ainsi le calme retrouvé n’était qu’un leurre, son illusion un piège de plus ? Vraiment, cette nuit ne s’oublierait pas, était vraiment irréparable ? Le fléchissement ne venait pas d’un obstacle imprévu, extérieur, c’était bien sa force même qui avait fléchi ? Un grondement de colère roula dans sa gorge, et ses doigts rapides éparpillèrent ce qui restait du manuscrit. Son regard se leva. Et il aperçut, à l’extrémité de la pièce, dans le réduit plus sombre, contre la paroi blanchi à la chaux, la Croix.

Aussitôt il entendit son rire.

Cette fois, il ne songea point à l’éluder, l’étouffer : il l’écouta courageusement. Puis il le voulut tel qu’il était, non moins glapissant, non moins vil. De tout son être il l’accepta, le fit sien… Un soulagement immense, un immense allégement furent aussitôt sa récompense, et rien ne donnerait mieux l’idée de cette délivrance inattendue que l’éclatement d’un abcès. Il sentit, il sentit avec étonnement, puis avec certitude, enfin avec ivresse que cela qui remuait en lui qu’il ne pouvait plus porter, avait trouvé une issue, se déchargeait. L’enfant qui s’approchant avec terreur, la nuit, d’un fantôme, touche de ses petites mains un objet familier, inoffensif, ressent quelque chose de cette joie, quelque chose seulement, car il cesse simplement de craindre, il ne méprise pas ce qu’il a craint, il ne peut se venger de sa crainte… Au lieu que l’abbé Cénabre s’ouvrait tout entier à ces délices amères, à peine connues.

Il baissa les yeux, retrouva sur la table le livre innocent du Père Berthier, rit de nouveau, maintenant