Page:Bernanos - L’Imposture.djvu/78

Cette page a été validée par deux contributeurs.
68
L’IMPOSTURE

révolte et le blasphème, poursuivait l’ancien desservant, les mains croisées sur sa poitrine… Ah ! monsieur le chanoine, dans le blasphème, il y a quelque amour de Dieu, mais l’enfer que vous habitez est le plus froid.

Il décroisa les mains, laissa tomber ses bras, et demeura un moment, face à son redoutable adversaire. L’étonnement qu’exprimait le visage de l’abbé Cénabre ne paraissait pas feint, ni feinte l’amertume de sa bouche abaissée. Plutôt qu’un cri de colère, ou l’éclat d’un mauvais rire, son fort et solennel silence réduisait à rien les paroles qui venaient d’être dites ou les frappait de stérilité. Une minute encore, l’abbé Chevance essaya de soutenir ce silence, puis ses lèvres formèrent une espèce de gémissement, et il disparut.

— Ce sympathique nigaud m’a tout de bon réveillé, dit à voix haute l’abbé Cénabre, je ne me coucherai donc pas cette nuit.

La fuite de l’ancien curé de Costerel le laissait rempli d’une joie tranquille où l’ironie ajoutait à peine une pointe d’amertume. Bien loin de le troubler, le souvenir du suprême, de l’inutile effort de son fragile ennemi semblait devoir lui être un secours contre toute nouvelle épreuve pareille à celle qu’il a subie. C’était comme s’il eût fait sur le vieux prêtre inutile l’expérience de sa propre folie, ainsi qu’on inocule la tuberculose ou la peste à un animal de laboratoire.

— Ai-je donc été si loin dans le délire, se disait-il