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L’IMPOSTURE

fois cette supplication naïve, dont, le sens véritable ne fut connu que des anges :

— Allez-vous-en ! Allez-vous-en !…

L’abbé Cénabre ne répondit qu’après un long silence :

— À peine ceci pourrait-il s’entendre, fit-il enfin, d’un homme qui aurait manqué à tous ses devoirs. Par bonheur, il n’est rien ici de pareil. J’ai rempli tous les miens avec exactitude, sinon avec enthousiasme. Je les ai respectés, sinon aimés. Sans doute, je n’espère pas de me justifier entièrement. Dites-moi toutefois, si vous ne trouvez point, à la réflexion, enfantin de prétendre quitter son passé, comme on quitte le gîte d’une nuit ? Ce n’est pas nous qui disposons du passé, ce n’est pas nous qui le tenons ; c’est le passé plutôt qui nous tient.

L’abbé Chevance se taisait.

— Je retiendrai néanmoins quelque chose de ces paroles sévères : il est vrai que mes travaux absorbent toute ma vie, qu’un prêtre aussi humble et zélé que vous êtes peut se scandaliser de me voir trop attaché, en apparence, aux vanités mondaines et, réellement trop passionné des choses de l’esprit, enfin si peu sacerdotal. N’ayant à me reprocher aucun manquement capital, ni même grave, j’ai cru trop aisément qu’on se peut dispenser de cette surveillance de l’âme, en un mot de ce contrôle fort et subtil que nos vieux maîtres appellent du beau nom de l’oraison. La critique n’y supplée point. La familiarité pour ainsi dire professionnelle dans laquelle je vis depuis longtemps auprès de ces hommes d’une spiritualité si haute et si parfaite, m’a fait illusion : je reportais inconsciemment