Le vieux prêtre répondit aussitôt à voix très basse, redoublant de déférence et de respect, avec une douceur déchirante, par ces paroles impitoyables :
— Monsieur le chanoine, il vous faut seulement tout quitter, tout rendre.
L’abbé Cénabre, sans cesser de sourire, fit un geste qui pouvait signifier tour à tour l’incompréhension et la stupeur. Le miracle fut que l’autre reçut ce sourire, s’en empara, le rendit avec joie, ainsi qu’un docile élève au maître indulgent.
— Comprenez-moi, monsieur le chanoine, poursuivit-il en agitant ses longues mains maigres, nous sommes si malheureux… qu’il arrive que notre vie tout entière soit — à notre insu — comme… dérivée, en quelque sorte, de Dieu au diable. Je m’exprime mal ; imaginons plutôt une source perdue dans une terre aride et souillée. Ce que le Seigneur nous octroie, je dis de plus précieux : les souffrances du corps et de l’esprit, l’usage que nous en faisons, à la longue, peut les avoir corrompues. Oui ! l’homme a souillé jusqu’à la substance même du cœur divin : la douleur. Le sang qui coule de la Croix peut nous tuer.
Il respira fortement :
— Vous avez trop attendu, reprit-il. Vraiment… Véritablement, monsieur le chanoine… vous vous êtes trop refusé… Il n’y a plus rien à faire de l’angoisse dont vous parlez : elle vient trop tard, et malgré vous. Vous ne l’utiliserez pas. Elle vous détruira plutôt. Elle vous jettera dans la haine. N’accusez pas Dieu, monsieur le chanoine ! Cette angoisse, il vous l’a, pour ainsi dire proposée, comme on fait boire gorgée par gorgée, un remède au petit enfant. Vous n’avez pas