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L’IMPOSTURE

à son oreille. Tout son corps, d’un imperceptible écart, sitôt retenu, esquissa le bond d’une bête traquée. Puis le regard surgit de nouveau dans ses yeux.

— J’aurais désiré que vous me bénissiez, disait tristement l’abbé Chevance… J’aurais voulu vous demander cette grâce, avant de vous quitter pour jamais.

Sa voix était tendre, et pleine d’une pitié si divine que l’orgueil le plus sourcilleux s’en fût trouvé ému. Il n’évitait pas, il cherchait maintenant les yeux sombres, tandis que s’abattait sur le prêtre célèbre, ainsi qu’un aigle sur sa proie, la compassion d’une âme de feu.

— Oui, disait le confesseur des bonnes, dans l’affreuse épreuve où je vous vois, tout autre acte de notre ministère vous serait, certes, impossible. Mais lequel d’entre nous, sous les pieds mêmes du diable, ne pourrait valablement bénir, au nom du Père, du Fils, et du Saint Esprit ? Ah ! mon ami, cela est vrai, cela est sûr ! Vous pouvez sans sacrilège, appeler sur un frère à peine moins misérable que vous, cette grâce dont vous êtes à présent vide. Écoutez-moi. Faites ce signe au moins — même avec indifférence — même dans la perversion de la volonté ! Qu’importe si vous croyez ou non à cette minute, et quand chaque battement de votre cœur serait un blasphème et un défi ! Si vous ne pouvez implorer la miséricorde pour vous — ah ! faites, faites au moins le signe qui la dispense au pêcheur ! Souhaitez-moi, souhaitez-moi seulement d’être heureux !

C’est ainsi que ce prêtre extraordinaire, avec une ténacité sublime, tentait sa chance suprême, lançait