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L’IMPOSTURE

fois de plus avec une rage absurde que la parole imprudente le liait autant qu’un aveu. Dans quel rêve, dans quel cauchemar frénétique s’agite-t-on ainsi pour voir se rétrécir autour de soi l’espace libre, se fermer toutes les issues ? Il avait voulu un témoin favorable, bien qu’imprudemment appelé, dont le moins habile eût su tirer parti, et il n’aboutissait stupidement qu’à se trahir… Contre qui, contre quel obstacle invisible, la haine dont il se découvrait plein ?…

Cette fois l’abbé Chevance le regardait bien en face, de ses yeux tristes. D’ailleurs il ne fit aucune plainte, ne formula aucun reproche. Il dit seulement avec une extraordinaire dignité :

— Je ne puis plus désormais vous entendre hors du sacrement de Pénitence.

Il fit à nouveau le geste de se retirer : l’abbé Cénabre le devança :

— Me croyez-vous capable… commença-t-il d’une voix tonnante…

— Nous sommes capables de tout, répondit le vieux prêtre humblement…

Mais aussitôt son regard se durcit, et l’historien de Gerson reçut ce coup en pleine poitrine :

— Je voudrais plutôt vous croire victime d’une telle pensée que capable de vous l’attribuer faussement.

Il hésita encore une seconde, et avec une poignante tristesse :

— Je ne puis vous permettre de vous servir de moi pour offenser Dieu, dit-il.

L’abbé Cénabre sourit amèrement :

— Je renonce à me défendre. Vous êtes libre. Qui vous retient ?