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L’IMPOSTURE

la porte, l’ancien curé de Costerel ! prêt à faire comme il avait dit…

— C’est donc là tout ! s’écria l’abbé Cénabre avec un rire forcé. La chose vous paraît si simple ? Vous me trouvez bouleversé, hors de moi (ma seule démarche auprès de vous le prouve assez !), mais vous n’en êtes pas autrement ému. Ou peut-être vous me jugez capable d’être à ce point torturé par des imaginations de petite fille ? Hélas, sachez-le, mon ami. La croyance n’est pas arrachée d’un homme tel que moi sans un atroce débat. Les circonstances, plutôt que ma volonté, font de vous l’unique spectateur de cette tragique aventure. Encore un coup, allez-vous-en !

De nouveau, les larmes vinrent aux yeux de l’abbé Chevance…

— Ce n’est pas cela… pas du tout cela… murmura-t-il désespéré. J’aurais prié… j’aurais demandé des lumières pour vous et pour moi. Mais vous abandonner, mon protecteur, un fidèle ami ! Mon Dieu ! vous m’auriez bientôt revu !

— En êtes-vous sûr ? s’écria furieusement l’abbé Cénabre : J’ai songé sérieusement à me tuer cette nuit.

Comment cette parole vint-elle ? D’où vint-elle ? Lui-même n’eût su le dire. Il n’eût su dire non plus si elle était un mensonge. À peine proférée, à supposer qu’elle ne fût qu’une provocation vaine, l’attitude du vieux prêtre, sa terreur silencieuse, bien différente de son habituelle agitation, lui donna sur-le-champ une réalité sinistre. Sans doute il n’était pas vrai que l’abbé Cénabre eût réellement délibéré de se tuer : la pensée ne lui en était même pas venue ; il avait jeté cela comme une injure. Et néanmoins, il sentit une