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L’IMPOSTURE

aussi surnaturel que vous m’assiste de sa compassion. Et j’ajoute encore que si la Providence en disposait ainsi, vous garderiez ma mémoire.

À mesure que ces paroles tombaient dans le silence, il en démêlait, avec une sourde irritation contre son naïf auditeur, le vrai sens, et ce sens était vil. Contraint de donner un prétexte plausible, à ce qui eût volontiers paru un geste inexplicable, il allait tout droit à la vérité, la dénonçait malgré lui. Ce qu’il n’eût peut-être osé s’avouer à lui-même, se lisait en clair dans ses phrases embarrassées : en dépit de la comédie de terreur, à demi consciente, qu’il s’était jouée, tout s’ordonnait peu à peu comme si, dès la première minute, l’esprit demeuré lucide s’était tracé son plan. Le cri de détresse n’était que feinte. Il avait toujours obéi, d’instinct et d’abord, puis délibérément, à la nécessité capitale de prendre ses sûretés, de se trouver un alibi. Une hypocrisie profonde organise ainsi du dedans son mensonge, et ne se sépare de lui que par un effort de la raison, après avoir été sa première dupe.

— Dois-je comprendre, dit l’abbé Chevance avec désespoir, que vous pensez vous en remettre à moi dans une conjoncture aussi grave ?… Il me semble… permettez-moi… excusez-moi… que ceci n’est qu’un mauvais rêve… Ou si vous voulez seulement m’éprouver, à quoi bon ? J’ai la plus grande estime — je veux dire la plus respectueuse admiration — pour vos talents, votre gloire… les services que vous rendez à l’Église… Il vous serait si facile de me prendre au piège ! Quand j’aurai montré ma sottise, vous rirez de moi, vous aurez bien raison… Mais… (sa voix se fit réellement suppliante) on saura cette misérable his-